Il flotte dans l’air comme une odeur de cabinets… Mais il ne s’agit pas des water-closets et autres lieux d’aisance, non, il s’agit d’organismes certificateurs qui viennent nous dire, notamment dans les CFA-CFPPA, ce qu’il faut faire pour s’inscrire dans une « démarche qualité ».
Comme si, jusqu’alors, on faisait de la merde dans les centres de formation : on faisait ce qu’on voulait, voire même rien du tout, et il n’y avait aucun contrôle ni retour de nos employeurs, des usagers (apprentis et stagiaires) et des professionnels.
Alors, des gens intelligents et bien-pensants ont eu l’incroyable idée d’instaurer une « démarche qualité » dans les républiques bananières qu’étaient les centres de formation. La loi « avenir professionnel » (2018), portée par Mme Pénicaud oblige désormais (depuis 2021) les organismes de formation à être certifiés « qualité »… Bon, comme il s’agit d’être rigoureux sur les contrôles, on va demander à des organismes certificateurs privés et payants d’estampiller, ou non, les centres qui s’inscrivent dans cette démarche. Les « grands timoniers » du ministère de l’agriculture, plus royalistes que le roi, ont cru bon de nous ajouter une deuxième couche qualité avec Qualiformagri, rien que ça ! Si avec tout ça, on est mal noté, c’est à n’y rien comprendre !
Alors, que faut-il faire pour s’engager dans une « démarche qualité » et décrocher le Graal ? D’abord, il faut se fader tout un vocabulaire indigeste, une diarrhée verbale (ce qui nous renvoie aux cabinets, d’ailleurs), avec des tas de mots qu’on entend tout le temps, qui veulent tout dire et rien en même temps : « stratégie », « ingénierie », « adéquation », « enjeux », « développement »… Arrêtons là, la liste est trop longue !
En bref, pour qu’un CFA/CFPPA obtienne le droit de former, il faut que son action soit en harmonie avec la marque « Qualiopi » et réponde à 7 critères révolutionnaires et novateurs [roulement de tambour] :
Informer le public sur les prestations, délais, résultats [avant, on ne le faisait pas, on ne disait rien au public et le public ne nous demandait rien et pourtant il venait se former…]
Identifier les objectifs des prestations quand on prépare les actions de formation [dans le temps, avant Qualiopi, on formait des jeunes sans savoir à quoi on les formait…]
S’adapter aux publics (accueil, accompagnement, suivi, évaluation) [alors là, nous disons bravo, on retrouve enfin les valeurs humanistes chères aux politiques libérales, il était temps !]
Adéquation des moyens pédagogiques, techniques et d’encadrement des prestations lors de la mise en œuvre des actions [c’est vrai qu’il fallait qu’on nous le dise, on ne pensait pas à « caler » ces différents moyens pour réaliser nos actions de formation efficacement]
Qualification et professionnalisation des personnels [enfin des administratifs et administratives, des formateurs et formatrices diplômé·e·s et compétent·e·s ! Demande-t-on les mêmes qualités aux directeurs et directrices ?]
Inscription du prestataire dans son environnement socio-économique [heureusement qu’on nous le dit, c’est vrai que c’est important en termes d’insertion et de finances, on n’y aurait pas pensé]
Amélioration par le traitement des appréciations et réclamations [désormais, on n’a plus le droit de mépriser le public que l’on accueille !]
Et concrètement, que donne la mise en place de cette démarche, de ses 7 critères et 32 indicateurs, dans nos CFA et CFPPA ? Nous sommes allés à la rencontre de celles et ceux qui sont dans le bouillon de la qualité. Voici, en résumé, ce qu’ils ou elles font remonter…
Tout d’abord, « qualiopi » ça ne rime pas avec « gratuit », cette démarche peut fragiliser l’économie des centres : la certification et son renouvellement sont payants, le temps passé à ramer pour y arriver coûte de l’argent, il faut parfois créer des postes d’animateurs et d’animatrices.
Ensuite, « qualiopi » est chronophage : les procédures sont lourdes et les contrôles demandent beaucoup de travail.
D’autre part, « qualiopi » peut inciter certaines équipes à falsifier des résultats pour donner l’illusion de répondre aux critères et garantir ainsi l’avenir du centre et des emplois.
« Qualiopi » c’est aussi l’obligation pour les formatrices et formateurs de développer des « compétences » bien éloignées de leur cœur de métier (stratégie, réponse aux appels d’offres…), ce qui engendre des tensions et de l’épuisement au sein des équipes.
Enfin, « qualiopi », c’est le chantage institutionnalisé, l’épée de Damoclès : si tu n’es pas certifié, tu n’auras pas ta part de gâteau…
En résumé, avec « qualiopi » et autres « qualiformagri », on change de dimension, avec de nouvelles conditions de travail et de nouvelles règles. Ces « démarches » se font sur le dos des équipes pédagogiques et administratives, qui triment pour répondre aux exigences « qualité ». En outre, elles fragilisent nos centres, déjà affectés par la concurrence du privé et une conjoncture pas toujours favorable aux plans politique, économique, démographique.
Finalement, la « qualité » enrichit les organismes certificateurs privés, lesquels disposent en plus d’un droit de regard dans nos pratiques. Par ailleurs, cette « démarche » permet aux équipes de direction et à certaines branches professionnelles d’exercer des pressions intolérables sur les équipes en brandissant l’arme du chantage à l’emploi. Enfin, cette politique constitue la menace de demain pour nos lycées, lesquels verront peut-être un jour prochain les projets d’établissement remplacés par ces mêmes « démarches qualité ».
Nous, à SUD Rural Territoires, nous nous inscrivons dans une autre dynamique, une autre vision de la formation. Certes, la qualité de la formation et son contrôle sont importants, mais ils ne peuvent et ne doivent en aucun cas être confiés à des organismes privés, qui font des bénéfices sur les missions qu’ils assurent et grèvent l’avenir du service public d’éducation et de formation.
La qualité dans les CFA/CFPPA, comme dans les lycées, cela commence d’abord par des moyens humains et matériels dignes des enjeux à relever vis à vis de nos publics.
Quant à la mission de contrôle, celle-ci doit relever d’un service public indépendant et disposant des moyens pour fonctionner correctement et en toute transparence.