Nous en sommes là… Des identitaires, néofascistes et autres nostalgiques de l’Action française tuent en pleine rue. Malgré la dangerosité de son projet, l’extrême droite est banalisée ; on la voit se hisser dans les sondages comme s’il n’y avait là rien de grave. La surenchère sur ses sujets, pratiquée dans un large arc de droite, y contribue sans la moindre once de dignité. Bien que plusieurs fois condamné pour incitation à la haine religieuse et raciale, bien qu’accusé de harcèlement et de violences faites à des femmes, un candidat entend briguer la présidence comme si de rien n’était. Ce personnage au programme fascisant a été tout entier construit par des médias, à commencer par l’empire Bolloré – mais tant d’autres l’ont relayé d’abondance. Dans une émission de télévision, on le voit à présent devant des enfants déverser ses visées de « remigration ». Et voilà ce thème aux potentialités criminelles, en compagnie du « grand remplacement », son jumeau mortifère, circulant de média en média entre un bulletin météo et une annonce publicitaire.
La candidate de l’ex-FN, de son côté, avance ses pions impudemment. Rien ne saurait masquer la gravité de son programme : elle aura beau faire mine d’arrondir les angles sur la forme. Ce n’est pas le moindre danger dans la situation : voir une Marine Le Pen se faire passer pour modérée. En cela, elle se trouve bien aidée par un gouvernement qui non seulement reprend ses idées mais veut faire croire qu’elle serait « trop molle » sur certains terrains, comme l’a martelé Gérald Darmanin. Il évoquait là ses fétiches préférés, l’islam et l’immigration, réactivant la fable de l’ennemi intérieur pour mieux détourner l’attention. Mais derrière cette pratique de boucs émissaires, il y a des femmes, des hommes et des enfants qui connaissent le racisme, la violence sociale, les discriminations et la misère. Nous ne nous habituerons jamais à voir des réfugiés mourir sans aucune aide ; des tentes lacérées ; des personnes traitées avec la dernière infamie ; la solidarité criminalisée. L’histoire fera honte à cette barbarie. Un véritable tapis rouge a été déployé pour ces idées de haine ; elles trouvent partout table ouverte. L’intolérable est devenu acceptable, discutable, débattable – une opinion comme une autre. Or, ces discours ne sont pas que des mots, ils agissent, ils légitiment la ratonnade, la noyade et le meurtre : ils tuent.
Jamais nous ne céderons à la résignation
Nous savons que si l’extrême droite gagne des suffrages, c’est à proportion de la souffrance sociale, du désarroi et du désespoir causés par un système dont les pratiques exploiteuses et les crises destructrices conduisent au chômage, à la précarité, à la pauvreté et au ressentiment sur lequel elle joue cyniquement. Nous savons aussi que des décennies de reculs et de destruction des droits, par des gouvernements quels qu’ils soient et par-delà les alternances, ont ruiné bien des espérances. Un pouvoir de plus en plus autoritaire gouverne par la répression et les violences policières – cette police elle-même largement tournée vers la droite extrême. Le saccage du vivant par le productivisme capitaliste et le dérèglement climatique à l’ampleur désormais insensée exacerberont les tensions liées aux migrations qui s’ensuivront et, en réaction, la possibilité du fascisme. En cette matière, le péril est immense : il frappe à la porte et peut entrer bien plus vite qu’on le croit. Nous savons enfin que la réponse tient dans un tout autre programme, un projet désirable de justice sociale, d’émancipation et de démocratie véritable. Nos ripostes et nos initiatives ne sauraient être seulement réactives : se mobiliser pleinement contre l’extrême droite, c’est d’abord œuvrer pour un projet qui donne à espérer et nous rassemble bien davantage qu’elle imagine nous diviser.
Comme en d’autres temps sombres, nous sommes à la croisée des chemins. C’est pourquoi nous saluons l’organisation d’une manifestation contre l’extrême droite le 3 avril, à laquelle appellent de nombreux collectifs, associations, syndicats et organisations. Car si nous en sommes là, jamais nous ne l’accepterons et jamais nous ne céderons à la résignation. Face à l’extrême droite, soyons nombreuses et nombreux dans les rues pour le rappeler.
Signataires : Raphaël Arnault (porte-parole de la Jeune Garde antifasciste), Thamy Ayouch (professeur des universités), Ludivine Bantigny (historienne), Christine Bard (historienne), Angeline Barth (Confédération CGT), Jean-François Bayart (politiste), Amara Ben Amara (militant antiraciste), Omar Benderra (économiste), Fatima Benomar (membre de #noustoutes), Amal Bentounsi (Urgence Notre Police Assassine), Judith Bernard (enseignante et metteuse en scène), Arno Bertina (écrivain), Olivier Besancenot (porte-parole du NPA), Eric Beynel (syndicaliste à Solidaires), Kamel Brahmi (secrétaire général de l’union départementale CGT 93), Saïd Bouamama (sociologue et militant Front uni des immigrations et des quartiers populaires), Louis Boyard (chroniqueur), Patrick Chamoiseau (écrivain), Olivier Champetier (secrétaire général de l’union départementale CGT de l’Essonne), Eric Coquerel (député La France insoumise), Annick Coupé (porte-parole d’Attac), Alexis Cukier (philosophe), Alain Damasio (écrivain), Mathias Delori (politiste), Lisa Derradji (porte-parole de la Coordination féministe), Nathalie Desjacques (secrétaire générale de l’UD CGT du Val-d’Oise), Emmanuel Dockès (juriste et écrivain), Claire Dujardin (présidente du Syndicat des avocats de France), Simon Duteil (co-délégué général de l’Union syndicale Solidaires), Didier Epsztajn (animateur du blog « Entre les lignes entre les mots »), Annie Ernaux (écrivaine), Jules Falquet (sociologue), Eric Fassin (sociologue), Sébastien Fontenelle (journaliste), Geneviève Fraisse (philosophe), Alain Frappier (peintre, graphiste et illustrateur), Désirée Frappier (autrice), Jean-Paul Gautier (historien, spécialiste des extrêmes droites), François Gèze (éditeur), Nahema Hanafi (historienne), Capucine Hauray (présidente du planning familial de Loire-Atlantique), Samuel Hayat (politiste), Pierre Jacquemain (journaliste), Nicolas Jounin (sociologue), Razmig Keucheyan (sociologue), Pierre Khalfa (Fondation Copernic), Aurore Koechlin (militante féministe et sociologue), Mathilde Lacoste (porte-parole de la Coordination féministe), Rose-Marie Lagrave (sociologue), Annie Lahmer (conseillère régionale écologiste et militante féministe), Hervé Le Corre (écrivain), Pierre Lemaitre (écrivain), Valérie Lesage (secrétaire générale de l’Union Régionale CGT d’Île de France), Célia Levy (membre de la coordination #NousToutes), Michael Löwy (directeur de recherches émérite au CNRS), Fanny Madeline (historienne), Benoît Martin (secrétaire général de l’UD CGT de Paris), Gilles Martinet (géographe), Caroline Mecary (avocate aux barreaux de Paris et du Québec), Arya Meroni (porte-parole de la Coordination féministe), Mathieu Mollard (rédacteur en chef de Street Press), Corinne Morel Darleux (autrice), Albert Ogien (directeur de recherche émérite au CNRS), Elisabeth Ornago (secrétaire générale de l’UD CGT des Hauts-de-Seine), Lorraine Questiaux (avocate, féministe), Ugo Palheta (sociologue), Dominique Paturel (chercheuse), Antoine Peillon (journaliste et écrivain), Irène Pereira (enseignante-chercheuse), Thomas Piketty (économiste), Pablo Pillaud-Vivien (journaliste), Thomas Portes (président de l’Observatoire contre l’extrême droite), Philippe Poutou (porte-parole du NPA), Mina Rigal (membre de la coordination #NousToutes), Mathieu Rigouste (chercheur indépendant en sciences sociales), Suzy Rojtman (féministe, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes), Saidou (artiste – Sidi Wacho), Marie Soubestre (artiste lyrique), Jacques Testart (biologiste), Annie Thébaud-Mony (sociologue), Sylvie Tissot (sociologue), Rémy Toulouse (éditeur), Eleni Varikas (professeure émérite à l’Université de Paris 8), Dominique Vidal (journaliste et historien), Albin Wagener (enseignant-chercheur)